Aller jusqu’à la victoire et poser les bases d’un regroupement syndical lutte de classe

Griselda, lors d'une réunion

Article de L’Internationaliste n°179 de janvier-février 2018

Interview de Griselda, syndicaliste à la CGT-Éduc’action 93

L’Internationaliste : Comment analysez-vous la situation politique ?

Griselda : Je vois trois tendances au niveau de la situation politique : un durcissement de l’appareil répressif, une polarisation de la lutte des classes et une crise profonde des organisations ouvrières.

Cela implique tout un arsenal judiciaire pour criminaliser encore plus durement les organisations ouvrières et leurs militants, et criminaliser les futurs mouvement sociaux.

L’Internationaliste : Comment analysez-vous la politique des directions syndicales ?

Griselda : La bureaucratie syndicale est la courroie de transmission de l’appareil d’état au sein du mouvement ouvrier.

Cette politique se caractérise principalement par deux aspects. D’une part, les directions syndicales mènent une politique qui crée la confusion et la division au sein du mouvement ouvrier. En période de forte mobilisation, comme cela a été le cas pendant la loi travail en 2016, elles mettent en place des stratégies de dispersion, ou de confusion, notamment par la multiplication des journées d’action, ou par des grèves sectorielles ou locales.

Parallèlement, le rôle de la bureaucratie revient à négocier directement avec le patronat et le gouvernement. Macron a d’un côté l’appui du Medef, de l’autre celui de la CFDT. Il s’agit d’accompagner la mise en place de toutes les attaques contre les travailleurs : c’est ce que l’on appelle le « dialogue social » dans les médias, et ce que nous appelons la collaboration de classe.

L’un ne va pas sans l’autre. C’est en ce sens que je suis intervenue, lors de la rencontre nationale du Front Social le 10 Juin.

On ne pouvait exiger de la direction confédérale de la CGT qu’elle appelle à une journée de grève interprofessionnelle contre les ordonnances, sans poser la rupture du dialogue social, et de toutes les discussions qui étaient menées avec le gouvernement Macron-Philippe sur le dos des salariés. (voir video)

Il ne faut pas s’arrêter à l’arbre qui cache la forêt dans les ordonnances (voir article) : l’objectif central des ordonnances, c’est avant tout l’intégration des syndicats à l’appareil d’état.

C’est la liquidation de tout l’héritage du syndicalisme lutte de classe, à commencer par la Charte d’Amiens, pour aller vers un syndicalisme de concertation ou d’accompagnement.

À ce sujet, les propos de J.-L. Mélenchon, qui souhaite en finir avec la Charte d’Amiens, sont très inquiétants. La 6ème République prônée par la France Insoumise se fera donc en rupture avec toute la tradition du mouvement ouvrier, celle du syndicalisme lutte de classe, ce syndicalisme lutte de classe qui avait arrachée la journée de 8 heures au patronat il y a près de 150 ans !

Cependant, cette orientation défendue à travers la stratégie du syndicalisme rassemblé, a été très fortement rejetée au dernier congrès confédéral de la CGT !

L’Internationaliste : Dans cette situation quelle est la politique que doivent mener les militants syndicaux lutte de classes ?

Griselda : La première tâche des militants syndicaux est de combattre la politique de l’appareil d’État, qui est une politique de division consciente, menée de pair avec les directions bureaucratiques syndicales.

Contrairement à certains secteurs politiques, je ne crois pas aux « avant-garde éclairées » ou aux « avant-garde larges ».

Dans mon intervention quotidienne, j’applique la tactique du front unique ouvrier : frapper ensemble, marcher séparément.

Pour cela, nous avons deux boussoles : la démocratie ouvrière et l’indépendance de classe, c’est-à-dire l’indépendance vis- à-vis du patronat, du gouvernement et des institutions européennes.

Sur le terrain syndical, un des débats centraux du mouvement ouvrier est bien évidemment la rupture avec la Confédération Européenne des Syndicats, qui co-rédige les directives européennes, qui impliquent, entre autre, la déréglementation du code du travail, ou la privatisation de l’éducation.

C’est l’ABC du communisme. Il nous faut partir des revendications immédiates en lien avec les préoccupations matérielles des salariés, et créer un pont vers la perspective de la révolution socialiste au moyen de mots d’ordre transitoires.

Cela implique que nous ne posons pas comme préalable à la mobilisation, que les travailleurs soient trotskystes ou tout simplement de « gôche », que ce soit pour le retrait des ordonnances, contre l’état d’urgence, ou encore pour la défense de la République Catalane.

Ceux qui continuent de croire à cette méthode n’ont rien compris à la puissance de la mobilisation contre la loi travail ! L’unité de la classe a dépassé les appartenances politiques, les conceptions religieuses, la couleur de peau ou le genre ! L’unité d’action a imposé la revendication du « retrait » face à l’intersyndicale bureaucratique qui exigeait un « code du travail du 21e siècle », des « droits nouveaux », etc…

Sur ce point-là, la politique des directions politiques et syndicales a été défaite, même si la loi n’a pas été retirée.

Mais il a manqué – et il manque encore – une organisation et une alternative politique pour aller jusqu’à la victoire et poser les bases d’un regroupement syndical lutte de classes.

L’Internationaliste : D’après ton expérience en tant qu’initiatrice du premier tour social, quel rôle pouvait jouer le Front Social dans un tel processus ?

Griselda : C’est étrange pour moi de voir que cette structure suscite autant de débats dans l’extrême-gauche, alors que toutes les organisations et groupes issus du trotskisme – y compris toutes les tendances du NPA – ont refusé de participer au 22 avril, car ils étaient tous en campagne électorale !

Ainsi, sous couvert de radicalité dans les paroles, ils ont encore une fois mené la même politique que les directions confédérales de la CGT, de la FSU, de FO et même de Solidaires !

Et pourtant, plus de 5000 militants lutte de classe, des secteurs déterminants étaient présents : les éboueurs de la ville de Paris, la CGT Energie Paris, la CGT Wattrelos …

Revenons donc sur le fond et arrêtons-nous sur les faits, car le Front Social a constitué dès sa fondation un recul politique au vu du succès du premier tour social.

Premièrement, le Front Social s’est fondé « contre le Front National », comme cela a été scandé lors de la manifestation du premier mai.

Et pourtant, en refusant d’appeler clairement à l’abstention, le Front Social commettait une énorme erreur politique qu’il allait payer. À peine né, il sacrifiait l’indépendance de classe derrière des atermoiements tels que « décision personnelle », « choix individuel », etc…

Cette absence de position était une vraie caricature, au vu de la vague abstentionniste du second tour et lors des législatives !

Deuxièmement, analysons la politique actuelle du Front Social sans nous laisser duper par leurs beaux discours radicaux.

Le Front Social dit « Les directions syndicales sont des traîtres et des pourries, à part celle de l’Union Solidaires. Et nous n’arriverons pas à les remettre sur le droit chemin malgré tous nos appels le 22 avril, le 8 mai et tous nos autres appels.

Mais comme nous sommes de vrais militants radicaux, on va continuer de faire des actions, mais sans eux. « Les gens » pourront voir qu’en fin de compte on n’a pas tellement besoin des confédérations ! »

On comprend donc que tous ceux qui ne sont pas au Front Social sont vraiment sectaires. S’ils étaient tous au Front Social, on serait encore plus nombreux dans la rue.

Avec cette position auto-proclamatoire, on se coupe bien vite de la majorité des travailleurs dans des actions gauchistes ou sectaires.

En fait au lieu de lever une alternative à la politique des directions, on les critique, on les aiguillonne, et à la fin on les aide parce qu’on leur laisse les mains libres pour gérer les organisations syndicales comme ils l’entendent.

Pour notre part, nous disons « Il faut interpeller et démasquer les directions politiques et syndicales à travers la démocratie ouvrière et l’indépendance de classe stricte, y compris envers les positions partisanes, car c’est notre seule garantie pour maintenir l’unité d’action par en bas face à l’unité des appareils par en haut. »